-> Titre : Métamorphose
-> Genre : Fantastique, gore, mystique
-> Info : Fiction courte inspirée d'un rêve
La sœur aînée, Augusta, semblait d’une nature calme, posée,
à la limite de l’austérité mais indiscutablement mystérieuse. Elle ne souriait
que rarement et quand c’était le cas, on pouvait observer le coin de ses lèvres
droit s’étendre légèrement, juste assez pour creuser une pommette dans son
visage lisse. De taille moyenne, ses cheveux châtain foncé tombaient jusqu’au
milieu du dos et la plupart du temps, elle les coiffait en demi-queue de
cheval. Ses yeux en forme d’amande étaient colorés de noirs. Elle était très
obéissante et ne se laissait jamais envahir par les sentiments. Son mariage
était déjà arrangé. Sa mère, une femme autoritaire, dirigeait la conduite de
toute la famille. L’image était si importante. Les finances, elle en faisait également
son affaire.
La fille cadette, Mireille, admirait sa sœur. Elles avaient
quatre ans d’écart. Mireille était châtain foncé, mais ses cheveux ondulaient
plus que ceux de sa sœur. Elle avait de grands yeux de couleur noisette.
Souvent, elle ramassait ses cheveux comme sa sœur parce que c’était ce que
voulait leur mère.
Dans la grande maison familiale, les deux jeunes filles
dociles accueillaient les invités. C’était le jour d’un baptême. Augusta
arborait un sourire forcé mais charmant tandis que Mireille essayait d’observer
discrètement ce qu’il se passait dans la maison. Elle trouvait les invités bien
étranges. Elles ignorait d’où lui venait cette sensation, mais quelque chose
d’irréel pesait dans l’atmosphère. Elle se retourna vers sa sœur et la regarda
un moment revenir à elle-même, sans sourire. Mireille pensa à cet instant
qu’elle trouvait sa sœur beaucoup plus belle quand elle était perdue dans ses
pensées, sans ce masque qu’elle montre en permanence à tout le monde. Augusta
leva les yeux vers sa sœur et lui posa la main sur l’épaule avec ce seul
sourire vrai qu’elle savait faire… Cette espèce de pincement de lèvres faisant
naître la pommette.
La réception semblait se dérouler comme la mère le souhait
puisque les filles n’ont eu le droit à aucune remarque désagréable. Mireille
s’aperçut soudainement que sa sœur n’était plus à ses côtés. Elle se mit donc à
errer dans la maison, à la recherche d’un endroit plus calme quand elle
entendit des voix familières non loin. Elle tendit l’oreille par curiosité tout
en s’avançant vers le grand salon. Sa mère était dans l’entrée tandis
qu’Augusta trônait sur la mezzanine. Face à elle, Charles, un prétendant de la
fille aînée. Mireille observa, curieuse. Augusta était terrifiante. Ses yeux
posés sur cet homme misérable, elle articulait froidement mais très
distinctement qu’elle le trouvait insolent de venir la trouver dans l’intimité
de sa famille sans invitation. Il tenait un bouquet de roses dans sa main et
sanglotait. A chaque phrase que prononçait Augusta avec lenteur et dureté, il
se courbait encore plus jusqu’à se retrouver à genoux face à elle. Il serrait
le bouquet de plus en plus fort de sa main, à tel point que les épines
s’enfonçaient franchement dans sa chair pour y laisser passer quelques gouttes
de sang. Quand Augusta eu fini son discours, une dizaine de minutes suivirent
sans que personnes ne bougea d’un centimètre et se risqua de briser le silence.
L’ambiance s’était soudainement alourdie. Mireille ne pouvait détacher ses yeux
du visage de sa sœur qui ne présentait pas une seule ride de colère, de
tristesse ou d’un quelconque sentiment. Elle était si froide. Mireille aimait
sa sœur mais la voir ainsi… Elle fronça les sourcils parce qu’elle ne
comprenait pas pourquoi elle ne ressentait rien face à un homme si désemparé.
Mireille avait pitié de ce Charles. Mais surtout, elle ne comprenait pas ce que
cachait sa sœur et ce sourire que sa mère fini par afficher ouvertement, comme
satisfaite.
Augusta, nous le disions auparavant, est bien mystérieuse.
L’homme que la mère lui a choisi, la fille aînée ne l’a jamais vu et ne s’est
jamais plaint de sa situation. Mireille a toujours été curieuse et étant jeune,
elle a tenté de suivre sa sœur quelque fois. Voir si elle avait des amis en
dehors de la maison. Des fréquentations que la famille ignorerait. Mais jamais
elle n’a réussi à apercevoir le moindre évènement douteux. Plus tard, elles côtoyaient
la même école. Augusta a toujours attiré les sentiments extrêmes.
D’innombrables garçons étaient séduits par la belle ténébreuse. Ils pariaient
entre eux, à la fin des cours. Le premier qui réussira à la faire sourire. A la
faire rire. Le plus grand défit était d’obtenir un baiser sur la bouche de sa
part. Et derrière leurs stupides jeux, ils désiraient tous au plus profond
d’eux réussir à la conquérir, conquérir son cœur de glace. Alors
indépendamment, ils tentaient de se trouver seuls avec elle. Et elle, toujours
fidèle à elle-même, elle ne les regardait pas, ne leur souriait pas. Elle les
ignorait, comme elle sait si bien le faire. Elle ne semblait pas agacée. Ni
flattée. Elle faisait simplement comme s’ils n’existaient pas.
Les deux sœurs semblaient se rapprocher depuis peu. Augusta,
toujours très solitaire semblait malgré tout très attentive à l’égard de sa
sœur. Quelque chose se passait entre elles. Mireille ne s’en doutait pas alors
qu’Augusta était tout à fait consciente de ce qu’elle infligeait à sa sœur. Peu
à peu, elle deviendrait comme elle. Comme eux tous. Comme la famille. Mireille
va devoir écouter ce que lui dit son corps. Augusta avait toujours ce sourire
étrange ces derniers temps. Mireille était simplement contente que sa sœur ne
l’ignore pas. Cela signifiait qu’elle avait un peu d’importance pour Augusta.
C’était flatteur.
Lors d’une fin d’après-midi, les deux sœurs étaient sorties
se promener dans le village, puis vers les routes de campagne. Elles croisèrent
le groupe de garçons épris d’Augusta. Les filles durent s’arrêter. Augusta
regardait droit devant elle alors que trois d’entre eux lui tournaient autour
en déblatérant un discours romantique pompeux. Mireille s’énerva et se posta
devant sa sœur en leur criant de la laisser tranquille, qu’elle était déjà
promise à un autre et qu’ils n’auraient rien en lui offrant une pauvre petite
rose ! Pendant ce temps, Augusta était monté sur le porte bagage du vélo
piloté par Charles. Mireille se retourna surprise, agacée de ne pas comprendre
sa propre sœur mais déterminée à ne pas la laisser tomber. Tous les autres gars
se lancèrent à la poursuite des deux fuyards et Mireille s’accrocha à celui qui
pédalait le plus vite. Et juste à la suite du sommet de la côte, Mireille eut à
peine le temps de voir Charles et sa sœur butter sur une pierre et tomber
qu’elle ne tarda pas à les rejoindre, le vélo leur tombant dessus et ils
dérapèrent un long moment à cause des autres chutes qui suivaient. Le pire
arriva quand une dame arriva avec une carriole remplie d’outils agricoles et
tirée par un cheval et ne parvint pas à s’arrêter à temps. Bientôt, le fracas
ameuta quelques villageois qui s’employèrent à dégager les jeunes gens de la
chaussée. Ils prenaient grand soin de ne pas les abîmer plus qu’ils ne
l’étaient déjà. De nombreux garçons se voyaient les vêtements déchirés et la
chair sanguinolente qui avait raclé sur le sol caillouteux. Tous étaient
inconscients. Brusquement, une villageoise hurla en tirant la jeune Mireille.
D’autres femmes vinrent l’aider à la dégager. Elles la tiraient par les bras
comme une étrange créature et elles criaient apeurées que celle-ci n’avait
rien ! Aucune blessure ! Pas de sang sur ses vêtements ! Comment
était-ce possible ?! Regardez tous les autres ! Ils sont tous presque
morts, et elle, elle n’a rien ! Mireille, secouée dans tous les sens, sentit
soudainement le réveil d’une puissance inconnue… A peine consciente, elle
laissa tomber sa tête en arrière, les yeux révulsés et hurla d’une voix
perçante… Les femmes la lâchèrent immédiatement et prirent la fuite quand elles
aperçurent des araignées sortir de la bouche de la jeune fille. Quant à
Augusta, elle avait disparu.